Garde-Robes de Plantes
sous le commissariat de Shukuko Voss-Tabe
Une caricature d’Hokusai (1760–1849), grand maître d’estampes japonaises, représente un homme marchant sous la pluie, vêtu d’un manteau composé de nombreuses feuilles de fuki, ou pétasites japonicus. Il n’a pas eu, semble-t-il, les moyens nécessaires pour se procurer un manteau de pluie et du coup s’en est confectionné un lui-même. Un habit ingénieux, poétique, qui témoigne d’un humour insolite.
Le royaume végétal – la partie dite « inanimée » du monde vivant – a sa propre histoire, une histoire beaucoup plus ancienne que celle des êtres humains. Aujourd’hui, elle revendique plus que jamais son existence et joue un rôle conscient dans notre vie quotidienne. Les réalisations présentées dans l’exposition « Garde-Robes de Plantes » montrent l’attachement de trois artistes à la nature, et plus particulièrement aux plantes. Les plantes sont impliquées tout au long de l’élaboration de leurs créations.
Pour Marie-Noëlle Fontan, Phet Cheng Suor et Emma Bruschi, les plantes sont sources de vitalité et de beauté et méritent, à ce titre, de se montrer dans l’art sous leurs formes naturelles. Ces artistes s’inscrivent dans la lignée d’autres artistes œuvrant dans les domaines de la sculpture ou du land art, tels Giuseppe Penone ou Andy Goldworthy.
Les trois artistes que nous présentons ici ne se contentent pas de se servir de matières premières d’origine naturelle mais traitées par l’industrie, telles les fibres de lin, de coton, de chanvre, de bananier ou d’ananas. Elles privilégient des composants végétaux à l’état brut, qu’elles vont chercher directement dans la nature – au cœur des forêts, dans les buissons, au bord des rivières et dans les champs où les agriculteurs les cultivent.
Les textiles de Marie-Noëlle Fontan sont tissés avec des feuilles de lys et d’opuntia, des gaines de bambou, des écorces d’orange ou des aiguilles de pin. Phet Cheng Suor se sert d’écorces de mûrier, de niaouli ou de palmier de Chine pour fabriquer des « kimonos végétaux ». Emma Bruschi crée des vêtements et des accessoires à partir de paille. Toutes se passent du recours aux procédés industriels dans la fabrication de leurs textiles.
Les plantes, dans les créations de ces trois artistes, gardent à la fois leurs apparences initiales et leur vivacité, tout en se transformant de façon extraordinaire pour devenir des œuvres d’art – un art textile et vestimentaire à la fois archaïque et pleinement contemporain. On peut très bien imaginer le ravissement que les femmes préhistoriques auraient ressenti à se parer de ces belles étoffes constituées des plantes cueillies dans leur environnement, semblable au nôtre face à ces créations subtiles et étonnantes.
Je vous invite à explorer les pages suivantes de cette exposition ; à vous promener dans ce jardin d’objets fabriqués par l’esprit et la main humaine, dans ce musée d’œuvres prélevées par les artistes, d’un habile coup de main, du sein même de la nature.
Association Amitiés Tissées
Shukuko Voss-Tabe
www.amitiestissees.com
Marie-Noëlle Fontan
Le regard est délibérément botanique, l’inspiration manifestement végétale et l’artiste naturellement portée à l’harmonie des matières, des couleurs et des formes. L’œuvre de Marie-Noëlle Fontan s’inspire sans fin de la générosité des végétations, plantes, herbes ou arbres. Feuilles, brindilles, écorces, graines, fleurs, fruits apportent alors colorations et textures à la délicatesse du travail créatif. La nature tissée par l’artiste restitue ainsi des compositions où la trame de lin ou de coton soutient les agencements d’une cueillette inspirée. Ici, même la feuille anodine prend des allures de signe graphique. L’œuvre parle de nature et réciproquement.
(Ce paragraphe est tiré d’un texte d’Ambroise Monod, Paris 2008.)
Site : www.marie-noelle-fontan.com
Instagram : #fontanmarienoell
Titre | Année | Matières |
Lunaire | 2005 | Graines et Branches de Lunaire (monnaie du pape) et fils de coton |
Aspidosperma | 2012 | Écorce de bananier , graines d’Apidosperma et fils de coton |
Feuilles de El Pilar | 2016 | Feuilles (non identifiées) et fils de coton |
Les deux poissons | 2020 | Feuilles de Monstera Obliqua et fils de lin |
Monstera | 2016 | Feuilles de Monstera Obliqua et fils de lin |
Pithecoctenium | 2011 | Graines de Pithecoctenium Crucigerum et fils de coton |
Titre | Année | Matières |
A marée basse | 2013 | Différentes plantes trouvées sur la plage et fils de coton |
Licuala | 2009 | Feuille de palmier Licuala et fils de coton |
Samares d’érable | 2012 | Samares d’érable et fils de lin |
Lapsanne commune | 2005 | Lapsanne commune et fils de coton |
A marée basse | 2013 | Différentes plantes trouvées sur la plage et fils de coton |
Aristoloche | 2020 | Différentes plantes dont des aristoloches et fils de coton |
Phet Cheng Suor
Après la peinture et la gravure, il y a eu les plantes, collectées, rêvées et transformées en papier, « vitrail végétal » et « livres d'artiste ».
J'ai poursuivi ce dialogue plastique et poétique avec le végétal en créant des sculptures de vêtements en écorces de mûrier et de niaouli, en fibres de palmier et en gaines de bambou, comme une deuxième peau végétale dont les pleins habillent et les vides habitent une existence aérienne et désincarnée d'un être de passage.
Pour créer mon « vestiaire végétal », j'ai travaillé autour de la forme et de la symbolique du vêtement tel une empreinte, une trace, une enveloppe poétique du corps et des êtres.
Le vêtement est l'incarnation « concrète » et esthétique de l'être en même temps qu'il est une deuxième peau intime que l'on choisit de porter sur soi pour se protéger, se montrer, exister.
Je vous invite à vous promener dans mon « jardin des âmes », ces « êtres de passage » entre écorces de mûrier et de niaouli, fibres de palmier de chine et gaines de bambou.
( Texte:Phet Cheng Suor )
Site : www.phetchengsuor.com
Titre | Année | Matières / Dimension (cm) |
Habit de passage 1 | 2008 | Écorce de mûrier 70 x 137 x 34 cm |
Habit de passage 4 | 2008 | Écorce de mûrier 71 x 142 x 30 cm |
Habit de passage 4 | 2008 | Écorce de mûrier 71 x 142 x 30 cm |
Habit de passage 7 | 2008 | Écorce de mûrier, pâte à papier d’ortie 35 x 110 x 40 cm |
Niaouli 1 | 2010 | Écorces de niaouli et de mûrier 69 x 92 x 35 cm |
Niaouli 1 - Détail | 2010 | Écorces de niaouli et de mûrier 69 x 92 x 35 cm |
Titre | Année | Matières / Dimension (cm) |
K-Bambou 1 | 2010 | Gaines de bambou 72 x 74 x 44 cm |
K-Bambou 1 - Détail | 2010 | Gaines de bambou 72 x 74 x 44 cm |
Les Etres - bambous - la femme | 2011 | Bambous et gaines de bambou |
K-IV | 2009 | Papier népalais, écorce de mûrier 60 x 45 x 20 cm |
Elle-Buste | 2012 | Écorce de mûrier, végétaux 47 x 58 x 20 cmv |
Lui-Buste | 2012 | Écorce de mûrier, végétaux 47 x 56 x 22 cm |
Titre | Année | Matières / Dimension (cm) |
Cantique des Cantiques 4 « La Bien - Aimée » | 2013 | Papier, encre 280 x 330 x 50 cm |
Cantique des Cantiques 4 | 2013 | Papier, encre 280 x 330 x 50 cm |
K-Herbier 2 | 2012 | Papier japonais, écorce de mûrier 150 x 152 x 15,5 cm |
K-Herbier 2 - Détail | 2012 | Papier japonais, écorce de mûrier 150 x 152 x 15,5 cm |
Couture d’Écorce de mûrier et de palmier de Chine |
Emma Bruschi
Les matières premières, l’artisanat, le savoir-faire, la transmission et l’expérimentation sont au cœur du travail d’Emma Bruschi. Elle regarde le territoire comme une matière première essentielle, en s’inspirant de lieux qui lui sont personnels. Une certaine nostalgie, le calme et la lenteur se dégagent de ses collections. Elle s’inspire pour créer ses pièces vestimentaires du milieu rural et agricole, du vestiaire ouvrier, de la faune et de la flore de la Savoie et de tous les savoir-faire qui en découlent.
Depuis 2021, Bruschi cultive du seigle dans la ferme familiale avec l’aide de son oncle Eric Vergain. La paille du seigle – issu d’une joyeuse journée de récolte à la faux – est ensuite utilisée dans la production de ses vêtements, accessoires et bouquets de moissons. Son objectif est de cultiver la terre et de travailler avec ses propres matières, d’allier un travail d’agriculture et de designer. Elle est lauréate du Prix 19M des Métiers d’art de Chanel au 35e Festival international de mode, de photographie et d’accessoires de mode – Hyères 2020 avec sa collection Almanach.
La collection « Almanach » puise son inspiration dans l’imagerie populaire de l’almanach savoyard et ses contributions concernant les arts appliqués traditionnels. Dans chaque village, on savait travailler le bois, la paille et l’osier ; dans chaque maison, on savait broder, filer, tricoter, carder, travailler le fer ou la paille : un savoir-faire domestique transmis de génération en génération, avec l’amour du bel ouvrage.
- HEAD – Haute École de l’Art et de Design, Genève
- 35ème Festival International de Mode, de Photographie et d’Accessoires de Mode, Hyère, France 2020
- Almanach
- Prix 19M des Méteirs d’art de CHANEL au 35ème Festival
Site : www.emmabruschi.fr
Instagram : @emma.bruschi